QUELLES MESURES POUR LIMITER LE NOMBRE VICTIMES DANS LES ACCIDENTS DE LA CIRCULATION AU SÉNÉGAL ? (PAR DR ABDOULAYE BOUSSO)

« Il y’a un an, suite à l’accident de Ngeune Sarr (Louga), le 26 juillet 2023, j’avais rédigé cet article, que j’avais gardé dans mon ordinateur, sans le publié. Le récent accident de Koungheul m’a décidé à le diffuser et le publier tel quel. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, arrêtons ce cycle d’émotions fugaces sans véritables mesures correctrices »

Les accidents meurtriers de Sikilo et Sakal sont encore frais dans nos esprits, avec des morts sur le coup et des blessés par dizaine. L’émotion était grande, les condamnations audibles et des mesures prises. Six mois après, même drame et mêmes émotions. Quid des mesures prises, permettent-elles de limiter le nombre de victimes? Je ne le crois pas.

Il est vrai que l’on ne peut mettre fin aux accidents de la circulation, tant qu’il y’aura des routes et des véhicules, ils persisteront. Cependant nous pouvons en atténuer l’impact, réduire le nombre de victimes. Au-delà des morts, les blessés gardent parfois des séquelles très profondes, à vie. Je voudrais endosser ma blouse de médecin et ma tunique de chirurgien orthopédiste-traumatologue pour analyser et faire des propositions pour réduire le nombre de victimes. En tant que soignant j’ai eu à prendre en charges des centaines de blessés et aussi analyser les aspects épidémiologiques des accidents de la circulation, principalement des accidents de scooter. Dans cette réflexion, mon focus sera sur les véhicules de transport de passager.

Au-delà de la discipline des chauffeurs, du respect code de la route, deux éléments critiques doivent à mon avis être pris en compte pour préserver la santé des occupants d’un véhicule lors d’un accident : l’état de l’habitacle des véhicules et les premiers secours sur les lieux de l’accident.

L’état de l’habitacle des véhicules

Quand on parle de traumatisme, on pense tout de suite à un choc ou à un impact direct ou indirect. Dans les accidents de la circulation, le dommage physique est causé dans la plupart des cas par un choc indirect, sauf si le passager est éjecté du véhicule. Le choc, il est indirect, c’est parce que quand il y’a collision, c’est la carrosserie du véhicule qui subi le choc, et ce sont les déformations et la cinétique des mouvements dans l’habitacle qui occasionnent les blessures physiques des passagers. On peut comprendre donc aisément que la qualité de la carrosserie influencera fortement sur la protection ou non du passager. Au-delà des airbags, de la ceinture de sécurité, le rembourrage des parois intérieures de la carrosserie constitue l’élément élémentaire de protection des passagers.

Dans nos « Car rapide » et « Ndiaga Ndiaye », les seuls endroits où on trouve un rembourrage ce sont sur les sièges, tout le reste n’est que métal, joliment peint. Les sièges sont vissés sur le plancher du véhicule en tôle ou en bois. En fait, la majorité de nos cars de transport en commun ne sont en fait que des « boites de conserve » qui vont naturellement et tendrement subir un effet accordéon lors d’une collision. L’état du véhicule lors du récent accident de Louga est explicite, alors qu’il n’y a eu aucune collision. Je vous laisse imaginer l’effet visuel d’un « Ndiaga Ndiaye » passant au crash test. Revoyons juste l’état de ces véhicules après les accidents, cela permet d’imaginer la douleurs des passagers, écrasés par des barres et des plaques métalliques. Et si vous avez la chance de vous en tirer, vous pouvez être pris au piège par la grille au niveau de la parebrise arrière et des barreaux au niveau des fenêtre. Je frissonne tous les jours quand je croise les cars (surtout les « Tata ») circuler librement avec des grilles.

J’ai toujours un problème sur la perception du risque par le sénégalais !

Il n’y a aucune fatalité, arrêtons d’accuser Dieu de meurtre ! Dans notre pays, après un accident, une personne qui en sort indemne ou avec des séquelles est un miraculé.

Qui n’a pas vu nos tôliers découper des barils d’huile ou d’essence pour reformer la carrosserie d’un « car rapide » ou d’un « Ndiaga Ndiaye ». Au finish, ces véhicules devraient plus trouver leur place dans des salles d’exposition pour mettre en évidence l’ingéniosité de nous ouvriers que sur nos routes.

Le tableau que je viens de décrire peut paraitre cru voire caricatural, toutefois il est clair que si des mesures stricts ne sont pas prises pour corriger ce fait, les passager de ces « boites de conserve » mettront toujours leur vie en danger.

Les premiers secours

Ils sont décisifs pour sauver ou atténuer les lésions des victimes sur les lieux de l’incident. Les accidents se passent souvent loin des structures de santé et en l’absence de professionnel de la santé. Toutefois une assistance doit être rapidement apportée aux victimes, d’abord par les rescapés et ensuite par les populations à côté du lieu de l’accident, s’il y’a en. Savoir secourir une personne en danger n’est pas seulement l’apanage des professionnels de la santé. Toute personne devrait avoir les bases élémentaires de secourisme. On parle beaucoup de l’implication de la communauté dans les évènements de santé, dans le secteur des urgences sanitaire, elle est plus que d’actualité. Les aptitudes à secourir un blessé devraient être acquises par tout citoyen.

Dans notre pays, l’image est toujours saisissante lors des accidents de la circulation. Il y’a toujours un attroupement autour de la victime, avec un grand risque de sur accident. Les plus entreprenants répètent : « faut surtout pas le toucher, il faut appeler les pompiers ! ». Vous risquez un choc hémorragique, mourir sur la chaussée, si vous saignez. Presque aucun particulier ne dispose de trousse d’urgence dans son véhicule et s’il en dispose, il ne sait pas ou n’ose pas s’en servir. En urgence on parle de « l’heure d’or » (golden hour), les premiers actes de secours sont souvent décisifs pour la survie ou la limitation des séquelles d’une victime, cela est encore plus vrai s’il y’a un arrêt cardio-respiratoire. Les citoyens doivent être largement formés au secourisme, des pays comme la France, Israël, les USA l’ont institutionalisé. Dans notre pays, un module de secourisme obligatoire pourrait être développé et introduit dans tous les curricula de formation dans l’enseignement supérieur et professionnel, public comme privé. Les professionnels du transport aussi devraient être formés au secourisme. Pourquoi ne pas introduire un module de secourisme pour l’obtention du permis de conduire de transport de voyageurs et de poids lourds. Les chauffeurs sont souvent les premières victimes des accidents, mais ils sont aussi souvent les premiers sur les scènes d’accidents. Il faudra aussi rendre obligatoire la présence d’une trousse de secours dans les véhicules de transport en commun, dont la composition variera en fonction du nombre de passager. Le SAMU national a toutes les compétences et capacités pour aider dans ce domaine.

Dr Abdoulaye Bousso

Expert en gestion des urgences sanitaires

Chirurgien orthopédiste traumatologue

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